jeudi 15 octobre 2009

Gare aux livres

6 octobre, cours de français. L’enseignant pige dans un sac en plastique IGA où la classe flotte en un nuage de bouts de papiers avec des noms dessus.

Un à un, les élèves vont lui annoncer, avec un enthousiasme discutable, pour quel livre de sa liste ils ont opté (un nombre de pages réduit étant le principal critère de sélection), ainsi que la date qu’ils préfèrent pour faire l’exposé oral en question (la plus éloignée possible). Les amis, on appelle ça avoir du choix.

Eh bien, ça dépend pour qui.

Pigée en dernier, j’ai dû dire adieu au choix de date. Quant aux livres, j’en étais rendue au plan C. Inutile de vous dire qu’il n’y en avait pas vraiment, de plan C. J’ai parcouru de nouveau la liste, complètement prise au dépourvu, et j’ai retrouvé espoir quand j’ai reconnu le nom d’une auteure dont le recueil de nouvelles m’avait plu. Marie-Hélène Poitras. Il s’agissait de son roman Soudain le Minotaure.

Fière de ne m’en être pas trop mal tirée, j’informe l’enseignant de mon nouveau choix.

Prends pas ça.

QUOI? S’il est sur votre liste, ce foutu livre, pourquoi donc est-ce que je pourrais pas le lire? Bon, c’est pas sorti exactement comme ça, mais presque. Et puis, je n’allais quand même pas le laisser me refuser mon troisième choix aussi!

Choisis-en un autre. C’est dur comme livre. Des étudiantes sont venues me voir à mon bureau pour me dire qu’il les avait traumatisées.

Traumatisées? J’ai rassuré mon enseignant en lui disant que j’avais déjà lu Marie-Hélène Poitras, en lui offrant, en prime, un sourire ridiculement gigantesque. Ça a marché, je pense. En tout cas, il n’a rien rajouté et j’ai lu Soudain le Minotaure.

Je m’adresse à vous, ô chères étudiantes traumatisées. Oui, je dois admettre que c’est un livre difficile. Que le sujet (le viol) est difficile. Que la façon dont l’auteure en parle est difficile. Mais moi, personne ne m’a jamais dit que Soudain le Minotaure était un fait vécu. Et ça m’agace que vous n’ayez pas compris qu’il qu’on avait affaire à de la fiction. Aurait-il fallu l’écrire en caractères gras sur la couverture pour que vous le compreniez? Si c’était des martiens qui violaient les filles, c’aurait été évident, parce que c’est plutôt loin de la réalité. Mais quand l’auteur joue avec le réel et le tord juste assez pour qu’il ait encore l’air du réel, sans pourtant en être, on traumatise.

Et il a droit de faire ça, l’auteur. Il a le « pouvoir d’utiliser le réel comme il l’entend sans rendre de compte à personne », comme Marie-Hélène Poitras l’a déjà souligné ici. C’est son outil de travail, le réel. Un auteur peut nous amener où il veut pour qu’on comprenne son message. Quand il réussit son coup, on n’y voit que du feu, on croit que l’histoire pourrait être vraie et on se fâche parce qu’on y a cru. C’est justement ce qui nous amène à réfléchir : considérer qu’une situation pourrait exister dans la « vraie vie ».

Là, vous allez me dire que les auteurs pourraient parler de sujets moins difficiles ou, du moins, le faire d’une façon plus douce. Ne me faites pas croire que si on vous parlait de petites fleurs et de papillons, mes chères étudiantes traumatisées, les livres auraient le même impact sur vos vies. Bien sûr que ça nous dérange de se faire pitcher des choses horribles en pleine figure, bien sûr, surtout quand on sent qu’elles pourraient se produire dans notre propre vie. Mais il y a une différence entre savoir qu’une chose est réellement arrivée et savoir qu’une chose pourrait être réelle.

Il ne s’agit pas non plus de prendre la fiction pour acquis et de jeter aux vidanges ce qui se trouve dans le roman sous prétexte que c’est juste de la fiction. Les thèmes d’un récit fictif sont souvent assez réels merci.

Les livres sont dangereux.
Alors soyez prudentes, étudiantes traumatisées, et armez-vous d’un peu d’esprit critique lors de votre prochaine lecture. Vous éviterez très certainement l’affreuse cicatrice que pourrait laisser la morsure d’un de vos bouquins.
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